A titre de rappel, le démembrement de propriété est un partage des attributs de la propriété dans le temps entre l’usufruitier et le nu-propriétaire.L’usufruit est le droit de se servir d’un bien ou d’en percevoir les revenus et la nue-propriété est le droit de disposer d’un bien.
Lorsqu’un usufruitier édifie une construction sur un terrain dont il a la jouissance, se pose la question de savoir à qui appartient la construction lors de l’extinction de l’usufruit.
Notre Code Civil consacre l’existence d’un droit d’accession, l’article 551 énonce en effet que « tout ce qui s’unit et s’incorpore à la chose appartient au propriétaire ». Ainsi, d’une manière générale l’accession s’opère de plein droit au profit du propriétaire du sol qui acquiert la propriété des constructions, que ces dernières aient été réalisées par lui-même, ce qui est présumé par la loi, ou par un tiers.
Parce que les constructions ont été entièrement réalisées et financées par l’usufruitier et que le nu-propriétaire en bénéficie gracieusement, n’y a-t-il pas par conséquent une donation indirecte au profit du nu-propriétaire ?
C’est en se fondant sur ce raisonnement que l’administration fiscale a entendu appliquer des droits de mutation à titre gratuit sur la valeur des travaux effectués par l’usufruitier sur un terrain démembré entre ce dernier et sa fille nue-propriétaire.
La Cour de cassation dans sa décision du 19 septembre 2012 (cass. 3ème civ n°11-15460) rejette le raisonnement de l’administration fiscale et dénie l’existence d’une donation indirecte au motif « qu’il n’existait aucun enrichissement pour la nue-propriétaire qui n’entrera en possession des constructions qu’à l’extinction de l’usufruit, l’accession n’ayant pas opéré immédiatement au profit du nu-propriétaire du sol ».
La Cour de cassation considère donc qu’en présence d’un démembrement de propriété, il entre dans les droits de l’usufruitier de réaliser une construction sur le sol d’autrui afin de jouir de son usufruit sans que le droit d’accession prévu à l’article 551 ne s’applique immédiatement.
Qu’en est-il à l’extinction de l’usufruit ?
Au décès de l’usufruitier, en ce qui concerne le terrain la pleine propriété se reconstitue sur la tête du nu-propriétaire et ce, en principe sans aucun droit de succession. En ce qui concerne les constructions, au décès de l’usufruitier et par le jeu de l’accession, le nu-propriétaire acquiert la propriété des constructions édifiées par l’usufruitier.
Le nu-propriétaire s’enrichit-il ainsi des constructions entièrement financées par l’usufruitier ou doit-il une indemnité à la succession de l’usufruitier ?
Si l’on cherche la réponse parmi les dispositions du Code Civil régissant le démembrement on trouvera qu’aux termes de l’article 599, « l’usufruitier ne peut, à la cessation de l’usufruit, réclamer aucune indemnité pour les améliorations qu’il prétendrait avoir faites, encore que la valeur de la chose en fût augmentée. »
En revanche si l’on se penche sur les particularités du droit d’accession relatives aux biens immobiliers l’article 555 du Code précise que « Si le (nu)propriétaire du fonds préfère conserver la propriété des constructions (…) Il doit, à son choix, rembourser au tiers (la succession de l’usufruitier), soit une somme égale à celle dont le fonds a augmenté de valeur, soit le coût des matériaux et le prix de la main-d’œuvre estimés à la date du remboursement… ».
En somme, lorsque les travaux sont qualifiés d’améliorations, l’article 599 du code civil s’applique et le nu-propriétaire en bénéficie « gratuitement » alors que lorsque les travaux sont qualifiés de constructions, l’article 555 du code s’applique et le nu-propriétaire doit indemniser la succession de l’usufruitier.
La construction d’une maison sur un terrain démembré ne peut être qualifiée de travaux d’amélioration et pourtant…
Dans une décision du 12 juin 2012 (cass. com n°11-11424), rendue en matière d’ISF, la Cour de Cassation a retenu la qualité de travaux d’amélioration pour qualifier la démolition puis la construction d’un immeuble sur un terrain dont la propriété était démembrée ce qui emporta l’absence d’indemnité à la charge du nu-propriétaire.
Mais cette décision nous suggère une très grande prudence, d’abord parce qu’au cas particulier, l’administration fiscale soutenait que ces travaux constituaient des grosses réparations au sens de l’article 606 du Code Civil ce qu’avait admis la cour d’appel et ensuite parce que le contentieux portait sur la déductibilité d’une dette au passif de l’ISF.
En rejetant la qualification de grosse réparation la Cour de Cassation a rendu une décision favorable au contribuable sans nécessairement vouloir se prononcer sur les améliorations dont il est question aux termes de l’article 599 évoqué ci-dessus.
Il nous parait donc prudent de considérer qu’une construction par un usufruitier sur le terrain appartenant au nu-propriétaire relève de l’article 555 et qu’elle ouvre droit à une compensation au bénéfice des héritiers de l’usufruitier.
Rédigé le 17 mars 2016 par Yasmina Brasseur, Ingénieur Patrimonial Oddo Banque Privée